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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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Par Lise Ravary  

Je tiens une chronique hebdomadaire dans Montreal Gazette depuis près d’un an.  

Tous les dimanches, je livre un texte de 650 mots à la responsable des pages éditoriales, Edie Austin, texte qui est mis en ligne le lundi et publié le mardi dans le journal.  

Ma mission ? Dire aux anglophones ce qu’ils n’aiment pas entendre, mais qui reflète l’état d’esprit du Québec francophone auquel ils ne sont pas souvent confrontés, à moins de consommer des médias francophones, ce qui est moins fréquent qu’on pourrait le penser.  

Les médias anglophones ont tendance à protéger et à dorloter leur public, sans doute un réflexe minoritaire.  
 

Je me suis beaucoup amusée à écrire « Québécois de souche is not a racist term », « It’s not racist to question multiculturalism », et surtout « Anglos, it’s time to get over the 1995 referendum » et « Getting Bye bye’s jokes as a measure of integration ». 
 

Je me suis moins amusée à lire les commentaires. En anglais ou en français, la colère percole et il est plus important que jamais de se rappeler que les excités du web ne représentent pas la majorité des anglophones du Québec.  
 

Pas plus que les agités du bocal sur le site de TVA ne représentent les Québécois.  
 

La job 
 

Mais avant, la job. Il y a belle lurette que la plupart des médias francophones, sauf exception, ne font plus de vérification exhaustive et systématique des faits - s’ils en ont déjà fait - cette tâche étant désormais laissée au journaliste et parfois au réviseur. Mais chaque texte que j’envoie à la Gazette passe dans le tordeur du fact-checking pour en extraire un jus pure vérité.  
 

J’adore ça. La vérification des faits cimente la relation de confiance entre le journaliste et la rédaction.  
 

Quand je dirigeais des magazines, j’aurais voulu être plus stricte à ce chapitre, mais les budgets des publications francophones ne permettaient pas d’embaucher des vérificateurs. Pendant ce temps, les magazines anglophones sous ma responsabilité pouvaient s’offrir le luxe d’un vérificateur à temps plein, ou deux. C’était avant l’avènement des robots vérificateurs.  
 

Oui, ils existent. L’attitude « faire plus avec moins » rencontre la révolution numérique. Le Washington Post y est déjà.
  

Outre l’absolue vérité, le public anglophone aime la rectitude politique, veut de la rectitude politique. Je passe un temps fou à chercher les mots ou les expressions qui m’éviteront de recevoir une montagne de courriels de lecteurs courroucés.  
 

Sans compter les collisions frontales avec ces militants antiracisme qui estiment que la couleur de ma peau discrédite mes opinions. Je ne compte plus le nombre de fois où on m’a dit  « check your white privilege » . Jamais vu ça en français. 
 

Racistes, nous ? 
 

J’écris beaucoup sur la perception qu’ont plusieurs anglophones que les Québécois sont racistes et corrompus. La réaction explosive à ma chronique « What if SNC-Lavalin were based in Toronto ?»  a même réussi à me surprendre :  
 

« Montréal, capitale mondiale de la corruption ». « Les Québécois sont détestés ». « Québec a beaucoup de racistes ». « L’Alberta a le droit de dire FY au Québec ». « Le Québec a volé 250 milliards de dollars au reste du Canada depuis le début de la péréquation ». « Le reste du Canada croit que le Québec est une société distincte corrompue à l’os ». « Toutes les entreprises québécoises et les politiciens québécois sont corrompus ».  
 

J’ai même vu le mot « frog » passer. Qui utilise encore « frog » comme injure ? Qui plus est, la loi 101 et les votes ethniques de Jacques Parizeau font à nouveau partie de mon quotidien.  
 

J’ai toujours eu les deux pieds dans les deux cultures. J’ai travaillé et vécu là où on ne parle que l’anglais. Je suis sensible au sentiment d’aliénation que certains Québécois anglophones ressentent. J’observe le fossé entre anglophones et francophones québécois qui s’élargit de jour en jour. Mais le danger guette le commentateur francophone qui doit résister de toutes ses forces à la pulsion de passer la brosse à reluire sur le Québec pour atténuer l’hostilité de certains. Cela ne fonctionne pas et, de toute façon, ça ne passerait pas l’épreuve du fact-checking.   
 

 

Lise Ravary est chroniqueuse et blogueuse au Journal de Montréal et au Journal de Québec. Elle a dirigé plusieurs magazines, notamment enRoute d’Air Canada, Elle Québec, Elle Canada et Châtelaine.  
 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteure. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d'opinion.  

 

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