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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Hamburger, pizzas et piège à con

Par Nathalie Collard 

En début de semaine, mes fils Twitter et Facebook étaient envahis par la même image : celle de la salle à manger officielle de la Maison-Blanche au centre de laquelle trônait une immense table recouverte de boîtes de McDonald’s, Burger King, Domino’s et Wendy’s.

C’est la façon royale qu’avait trouvée le président Trump et son entourage pour accueillir les Tigers de Clemson, l’équipe championne du football universitaire américain. Les jeunes sportifs avaient revêtu leurs plus beaux atours pour ce qui devait être, nonobstant l’identité du locataire du 1600 avenue Pennsylvanie, un honneur. Mais au lieu du repas raffiné, ou tout au moins nutritif, auquel ces athlètes auraient dû s’attendre, ils ont plutôt eu droit à des hamburgers refroidis, des pizzas un peu sèches et des frites molles. La faute à la paralysie budgétaire (le fameux shutdown) qui prive le président des États-Unis d’une partie de son personnel de maison. 

Bien sûr, tous les médias ont relayé la photo. Comment résister ? Le contraste entre le décor somptueux de la Maison-Blanche et les boîtes de McDo était irrésistible, en plus d’alimenter des pages et des pages d’analyses dans lesquels on pouvait faire des liens entre le junk food et la présidence de Donald Trump. Le Washington Post a même publié une estimation du coût de la soirée, graphique à l’appui ! 

Bien sûr, plusieurs chroniqueurs ont souligné le manque de classe du président Trump, l’affront fait aux jeunes athlètes ou plus simplement le ridicule de la situation. Mais au fond, le président avait encore une fois gagné en faisait parler de lui. Et je suis pas mal certaine que ses partisans ont trouvé très cool qu’il offre des burgers et de la pizza à la Maison-Blanche. Après tout, c’est ce que mange « le vrai monde » devant un match à la télévision. Comme geste anti-élitiste, difficile de trouver mieux. 

Cette soirée illustre une fois de plus le drôle de tango que dansent le président des États-Unis et les médias. Donald Trump dit qu’il les déteste et n’a aucune confiance en eux, mais il fait tout pour attirer leur attention. Et les journalistes répondent à la seconde, comme un chien qui salive quand on froisse le papier du sac à biscuits.  

À la veille d’une campagne présidentielle qui s’annonce historique, c’est une relation de dépendance qui doit changer. Les journalistes américains le savent, mais sauront-ils résister ?

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Dimanche dernier, dans les pages de l’édition dominicale du New York Times, le chroniqueur Frank Bruni y allait d’un appel à ses collègues. « Allons-nous répéter les mêmes erreurs qu’en 2016? », se demandait-il, rappelant à ses lecteurs que Donald Trump ne déteste pas les médias, ils les utilisent. « Nous avons la chance de nous racheter, disait-il en substance. Allons-nous choisir l’anecdote au détriment de la substance ? Allons-nous le laisser décider du ton de la couverture de la campagne ? » 

Mais comment résister à l’incroyable attrait de Donald Trump ? Comment couvrir ses faits et gestes sans mordre à tous les hameçons ? Comment ne pas commenter chaque tweet rageur et résister à l’appel du clic que chacune de ses sorties génère ? L’animal est habile. Les récompenses à court terme –clic, cote d’écoute, etc,- sont alléchantes. Mais à long terme, tout le monde est perdant. Les électeurs, les politiciens et les médias. Ces derniers souffrent d’un déficit de confiance et de respect auprès de la population dont une grande partie tombe, elle aussi, dans le piège à con de Trump. On n’en sort pas.

Plusieurs observateurs l’ont souligné au cours des trois dernières années, l’élection de Donald Trump a mis en lumière la déconnexion entre les élites (dont les grands médias font partie) et la population. Les médias marchent donc sur une corde raide : comment mieux couvrir Trump et être plus critique sans être accusé d’être anti-Trump et, ultimement, de faire preuve de mépris à l’endroit des électeurs qui ont voté pour lui. 

Pas évident.  

Peut-on ignorer ce que dit ou écrit le président des États-Unis comme on le fait lorsqu’on ignore un troll qui nous harcèle sur Twitter ? 

Difficilement.  

Comme l’écrivait Ezra Klein dans Vox l’automne dernier, les médias sont dans une situation perdant-perdant. D’autant plus que Trump et son équipe (du moins ce qu’il en reste) ont réussi à faire accepter l’idée que les médias représentent la véritable opposition aux États-Unis. Le président est même allé jusqu’à les accuser d’être les « ennemis du peuple », une déclaration dont le réseau Fox a fait ses choux gras.  

Toute couverture médiatique négative lui donnera donc raison et risque de miner la crédibilité des journalistes aux yeux d’une partie de l’électorat. 

On sait déjà que la prochaine campagne présidentielle, qui est déjà commencée, sera historique. Elle le serait encore davantage si les médias réussissaient à s’élever au-dessus de la mêlée en mettant fin au cirque désolant auquel nous assistons depuis trois ans. Ce ne sera pas une tâche facile.  

-30- 

Nathalie Collard est journaliste depuis plus de 25 ans, à l’emploi de La Presse depuis 2001. Elle a couvert le secteur des médias durant de nombreuses années, et ce, pour plusieurs publications. Elle est également l’auteure de plusieurs essais.   

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteure. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.  

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