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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

La justice comme au casino

Par Mathieu Roy-Comeau

 

S’il est un système qui peut se targuer d’avoir mis en place des barèmes et des codes précis pour toute son organisation, c’est bien le système de justice. Afin d’assurer à tous un traitement juste et équitable, le système de justice a mis en place des règles et des procédures minutieuses. Au Nouveau-Brunswick, cependant, cette façon de faire ne s’applique pas quand vient le temps de négocier avec les journalistes.

Chez nous, la possibilité, pour les journalistes, de faire leur travail au tribunal dépend d’une panoplie de facteurs tout à fait arbitraires et varie selon l’endroit où ils se trouvent, le personnel à qui ils s’adressent et la nature du dossier qu’ils traitent.  

 

 

En bref, se présenter au palais de justice quand on est journaliste, c’est un peu comme aller au casino : tout ou presque dépend du hasard et les résultats sont aléatoires. 

 

 

Il existe quand même quelques règles qui ont au moins le mérite d’être claires. Tout d’abord, pas de prise de photos ou de vidéos dans les salles de cour, et ce, sous aucun prétexte, même lorsque la cour ne siège pas. Il est également interdit de faire des entrevues à l’intérieur des palais de justice. Beau temps, mauvais temps, hiver comme été, tout doit se faire à l’extérieur. 

 

 

Les procureurs de la Couronne acceptent d’ailleurs très rarement d’accorder des entrevues aux médias, même s’ils sont des fonctionnaires de l’État qui travaillent pour le public. 

 

 

En 2012, le juge en chef de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick et ses homologues de la Cour du banc de la reine et de la Cour provinciale ont émis une directive, qui est toujours en vigueur, concernant l’usage d’appareils électroniques dans les salles de cour.  

 

 

Cette directive permet explicitement aux journalistes de faire des enregistrements sonores des audiences comme aide-mémoire. Il est cependant interdit de diffuser ces enregistrements. Les journalistes ont aussi le droit d’utiliser leurs appareils électroniques (ordinateurs, téléphones intelligents) pour prendre des notes et transmettre des informations. C’est ce qui permet notamment aux journalistes de rapporter en direct sur Twitter ce qui passe dans les salles de cour.  

 

 

Il arrive cependant que les juges suspendent cette directive dans une affaire en particulier, à la demande d’un avocat ou de leur propre gré. Des décisions sont prises sans que les journalistes soient autorisés à répliquer et sans même, parfois, avoir le droit à la moindre explication.  

 

 

Les ordonnances de non-publication sont également monnaie courante dans les tribunaux au Nouveau-Brunswick. Si, la plupart du temps, les juges justifient les motifs qui les ont amenés à imposer ces interdits – par exemple, pour protéger l’identité d’une victime d’agression sexuelle ou éviter d’influencer des jurés potentiels par la circulation de certaines informations – il arrive, là aussi, qu’elles soient imposées sans aucune explication.  

 

 

L’an dernier, des journalistes se sont présentés au palais de justice de Fredericton pour consulter le dossier de cour, dans une affaire dont on parlait déjà abondamment dans les médias. Certaines informations contenues dans ce document, qui, rappelons-le, est public, ont fait l’objet de reportages. 

 

 

Après la diffusion, une juge a décrété une ordonnance de non-publication rétroactive sur certaines de ces informations, à la demande de la Couronne, car celles-ci n’auraient apparemment pas dû se retrouver dans le dossier public. La juge a fini par lever son ordonnance, mais seulement une semaine plus tard, après avoir entendu l’avocat des médias. 

 

 

L’accès aux dossiers de la cour, même s’il s’agit de documents publics, est d’ailleurs assez restreint.  Tout d’abord, il est impossible d’y accéder soi-même sur le Web. Parfois, un appel suffira pour obtenir les documents par courriel, mais c’est l’exception plutôt que la règle. La plupart du temps, les journalistes ont à se rendre sur les lieux. 

 

 

Une fois sur place, si l’on est chanceux, il sera possible d’obtenir le dossier recherché avec seulement quelques informations de base, comme le nom de l’une des personnes ou de l’un des groupes concernés. À d’autres occasions, on devra absolument fournir le numéro du dossier, ce qui est loin d’être toujours évident. Une fois le dossier en main, ce qu’on pourra faire avec lui (photocopies, photos à l’aide d’un téléphone, numérisation vers une adresse courriel) dépend généralement de la personne à qui on a affaire. Encore là, pas de règle clairement établie. 

 

 

Depuis peu, le personnel d’au moins une cour a aussi commencé à refuser de partager les décisions des juges avec les médias tant que toutes les parties aux dossiers n’en ont pas pris connaissance, et ce, même si le jugement a déjà été déposé au tribunal. 

 

 

Les obstacles au travail des journalistes sont nombreux dans le système judiciaire au Nouveau-Brunswick. Pourtant, l’ouverture et la transparence sont censées faire partie des principes élémentaires qui permettent au public de faire confiance à la justice. À mon avis, il est grand temps de mener une réforme en profondeur sur la façon dont le système traite les médias. 

 

-30-

 

Mathieu Roy-Comeau est le correspondant de l’Acadie Nouvelle à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick depuis 2014. Il est aussi le président de l’Association acadienne des journalistes.     

Les propos reproduits ici n’engagent que leur auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.    

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