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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Le risque de ne rien faire

Par Mathieu Roy-Comeau 

Laide gouvernementale quOttawa accorde aux médias écrits fait plusieurs mécontents à droite du spectre politique. Les élus conservateurs et les chroniqueurs qui partagent leur idéologie ont eu tôt fait de décréter la fin de lindépendance journalistique, si ce nest tout simplement la mort du journalisme au pays. 

Leurs critiques entrent généralement dans trois catégories, que lon peut résumer ainsi : 1) des médias soutenus par lÉtat seront automatiquement à la solde du gouvernement, 2) on ne devrait pas subventionner un modèle daffaires qui est condamné à disparaître et 3) lÉtat ne devrait pas avoir à choisir des gagnants et des perdants parmi les médias. 

 

Chacune de ces critiques témoigne, à mon avis, dune profonde incompréhension du métier de journaliste et de limmense défi auquel notre milieu est confronté. 

 

De quoi est-il question exactement? Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a confirmé quil dépenserait 595 millions de dollars sur cinq ans pour venir en aide aux médias dinformation. En résumé, les entreprises de presse auront notamment droit à un crédit dimpôt remboursable sur le salaire des journalistes. Les particuliers profiteront, quant à eux, dun crédit dimpôt non remboursable pour les abonnements numériques. Finalement, les organisations journalistiques à but non lucratif pourront délivrer des reçus officiels pour des dons de bienfaisance. 

 

Ces mesures étaient réclamées depuis plusieurs années par les représentants des médias écrits et les syndicats de journalistes, dont le secteur est en pleine crise. Sil ne sagit pas dun remède miracle, cest au moins une piste de solution en vue de mettre fin à lhémorragie. 

 

Sopposer à cette aide de lÉtat sous prétexte que les journalistes auront dorénavant une dette à légard du gouvernement ou dun parti en particulier, cest nier la farouche indépendance desprit qui anime quotidiennement les professionnels de linformation. Cest aussi remettre en question lindépendance des diffuseurs publics partout à travers le monde, comme Radio-Canada, la BBC ou RFI.  

 

Les salles de nouvelles savaient maintenir leur indépendance à légard de leurs clients-annonceurs avant que les Google et Facebook ne viennent tout gâcher et elles sauront demeurer indépendantes envers ces nouvelles sources de revenus. 

 

Pour certains, on devrait tout simplement laisser mourir les médias écrits. Quelque chose de nouveau, de plus «moderne», finira bien par surgir des décombres. Cest la théorie de la destruction créatrice. Ceux-là seraient donc prêts à laisser seffondrer cet important pilier de notre démocratie, sous prétexte quil est passé de mode, sans véritable plan B. Le risque est toutefois beaucoup trop grand, surtout dans les plus petits marchés où le journal local est souvent lune des dernières sources dinformation de qualité. Le danger, ce nest pas que lhebdomadaire papier du quartier soit remplacé par un site Web dinformation, mais quil ne soit pas remplacé du tout. Plusieurs collectivités nont pas le luxe dattendre de voir si quelque chose dautre surgira des décombres. 

 

Parce que les coffres publics ne sont pas sans fond et quil importe de gérer largent des contribuables de façon responsable, des critères devront être mis sur pied pour déterminer qui pourra recevoir laide financière dOttawa. Il y aura inévitablement beaucoup dappelés et pas suffisamment délus. Afin déviter toute apparence de partisanerie ou de favoritisme, le fédéral a déjà annoncé la mise sur pied dun comité dexperts indépendants pour gérer ce processus. 

 

Ce comité aura-t-il la tâche ingrate de choisir des gagnants et des perdants parmi les médias, comme le dénoncent les opposants de lintervention gouvernementale? Peut-être, mais en quoi cela sera-t-il différent de tous les autres secteurs qui sont déjà subventionnés par lÉtat dune façon ou dune autre, du théâtre à lindustrie pétrolière en passant par les amphithéâtres sportifs et les centres dappels? 

 

Jajouterai que le gouvernement choisit déjà en partie des perdants et des gagnants en adoptant un cadre réglementaire qui permet à des entreprises étrangères daccaparer les revenus publicitaires qui profitaient autrefois aux médias dinformation. 

 

Laide gouvernementale aux médias écrits nest pas une panacée. Ce qui a été annoncé par Ottawa ne suffira pas à ramener les centaines demplois en journalisme qui ont été perdus depuis 10 ans. Cette aide ne permettra pas non plus de sauvegarder tous les postes de journaliste qui existent encore. Le journalisme est cependant beaucoup trop essentiel à la démocratie pour prendre le risque de ne rien faire. 

 

Mathieu Roy-Comeau est le correspondant de l Acadie Nouvelle  à lAssemblée législative du Nouveau-Brunswick depuis 2014. Il est aussi le président de lAssociation acadienne des journalistes.     

Les propos reproduits ici nengagent que leur auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes dopinion.    

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