Par Mathieu Roy-Comeau
L’aide gouvernementale qu’Ottawa accorde aux médias écrits fait plusieurs mécontents à droite du spectre politique. Les élus conservateurs et les chroniqueurs qui partagent leur idéologie ont eu tôt fait de décréter la fin de l’indépendance journalistique, si ce n’est tout simplement la mort du journalisme au pays.
Leurs critiques entrent généralement dans trois catégories, que l’on peut résumer ainsi : 1) des médias soutenus par l’État seront automatiquement à la solde du gouvernement, 2) on ne devrait pas subventionner un modèle d’affaires qui est condamné à disparaître et 3) l’État ne devrait pas avoir à choisir des gagnants et des perdants parmi les médias.
Chacune de ces critiques témoigne, à mon avis, d’une profonde incompréhension du métier de journaliste et de l’immense défi auquel notre milieu est confronté.
De quoi est-il question exactement ? Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a confirmé qu’il dépenserait 595 millions de dollars sur cinq ans pour venir en aide aux médias d’information. En résumé, les entreprises de presse auront notamment droit à un crédit d’impôt remboursable sur le salaire des journalistes. Les particuliers profiteront, quant à eux, d’un crédit d’impôt non remboursable pour les abonnements numériques. Finalement, les organisations journalistiques à but non lucratif pourront délivrer des reçus officiels pour des dons de bienfaisance.
Ces mesures étaient réclamées depuis plusieurs années par les représentants des médias écrits et les syndicats de journalistes, dont le secteur est en pleine crise. S’il ne s’agit pas d’un remède miracle, c’est au moins une piste de solution en vue de mettre fin à l’hémorragie.
S’opposer à cette aide de l’État sous prétexte que les journalistes auront dorénavant une dette à l’égard du gouvernement ou d’un parti en particulier, c’est nier la farouche indépendance d’esprit qui anime quotidiennement les professionnels de l’information. C’est aussi remettre en question l’indépendance des diffuseurs publics partout à travers le monde, comme Radio-Canada, la BBC ou RFI.
Les salles de nouvelles savaient maintenir leur indépendance à l’égard de leurs clients-annonceurs avant que les Google et Facebook ne viennent tout gâcher et elles sauront demeurer indépendantes envers ces nouvelles sources de revenus.
Pour certains, on devrait tout simplement laisser mourir les médias écrits. Quelque chose de nouveau, de plus « moderne », finira bien par surgir des décombres. C’est la théorie de la destruction créatrice. Ceux-là seraient donc prêts à laisser s’effondrer cet important pilier de notre démocratie, sous prétexte qu’il est passé de mode, sans véritable plan B. Le risque est toutefois beaucoup trop grand, surtout dans les plus petits marchés où le journal local est souvent l’une des dernières sources d’information de qualité. Le danger, ce n’est pas que l’hebdomadaire papier du quartier soit remplacé par un site Web d’information, mais qu’il ne soit pas remplacé du tout. Plusieurs collectivités n’ont pas le luxe d’attendre de voir si quelque chose d’autre surgira des décombres.
Parce que les coffres publics ne sont pas sans fond et qu’il importe de gérer l’argent des contribuables de façon responsable, des critères devront être mis sur pied pour déterminer qui pourra recevoir l’aide financière d’Ottawa. Il y aura inévitablement beaucoup d’appelés et pas suffisamment d’élus. Afin d’éviter toute apparence de partisanerie ou de favoritisme, le fédéral a déjà annoncé la mise sur pied d’un comité d’experts indépendants pour gérer ce processus.
Ce comité aura-t-il la tâche ingrate de choisir des gagnants et des perdants parmi les médias, comme le dénoncent les opposants de l’intervention gouvernementale ? Peut-être, mais en quoi cela sera-t-il différent de tous les autres secteurs qui sont déjà subventionnés par l’État d’une façon ou d’une autre, du théâtre à l’industrie pétrolière en passant par les amphithéâtres sportifs et les centres d’appels ?
J’ajouterai que le gouvernement choisit déjà en partie des perdants et des gagnants en adoptant un cadre réglementaire qui permet à des entreprises étrangères d’accaparer les revenus publicitaires qui profitaient autrefois aux médias d’information.
L’aide gouvernementale aux médias écrits n’est pas une panacée. Ce qui a été annoncé par Ottawa ne suffira pas à ramener les centaines d’emplois en journalisme qui ont été perdus depuis 10 ans. Cette aide ne permettra pas non plus de sauvegarder tous les postes de journaliste qui existent encore. Le journalisme est cependant beaucoup trop essentiel à la démocratie pour prendre le risque de ne rien faire.
Mathieu Roy-Comeau est le correspondant de l’Acadie Nouvelle à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick depuis 2014. Il est aussi le président de l’Association acadienne des journalistes.
Les propos reproduits ici n’engagent que leur auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.