Billets

Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Sondages : la foi est grande

Par Marilyse Hamelin

Une campagne électorale, c’est la Série mondiale des amateurs de politique et Noël avant l’heure pour bien des journalistes. Et qui dit campagne dit sondages. Or je ne suis sûrement pas la seule à entretenir une relation d’amour-haine avec ceux-ci.

Tout comme le regretté commentateur Jean Lapierre, je les accueille avec intérêt à longueur d’année et les attends avec impatience en début de campagne, trop heureuse d’avoir accès à cette radiographie des intentions de vote sur la ligne de départ.

Cette année, mon appétit est décuplé par l’imprévisibilité de l’issue. La CAQ formera-t-elle le gouvernement et, si oui, celui-ci sera-t-il minoritaire ou majoritaire ? Assisterons-nous à une remontée spectaculaire du PLQ ? Est-ce que le Parti québécois demeurera un parti officiel reconnu par l’Assemblée nationale ? Québec solidaire fera-t-il une percée à l’extérieur de Montréal ? Tant de questions…

Un parvis d’église virtuel

Il n’empêche, plus on s’approche du scrutin et plus, chaque fois, je me demande à quel point les sondages influencent l’électorat en fin de course. L’effet de ralliement au meneur (bandwagon) est-il substantiel ou anecdotique ? Comment mesurer concrètement à quel point l’électorat est constitué d’individus malléables ? Qui voudrait admettre d’emblée être une personne un brin influençable ? Et pourtant… Là où certains opteront pour le meneur simplement pour le plaisir de « gagner ses élections », d’autres, plutôt anxieux, chercheront à valider leur choix en fonction du plus grand nombre ; « si tout le monde vote pour lui, c’est qu’il doit être bon » devient ici le corollaire de « si tout le monde le dit, ça doit bien être vrai ».

Et c’est sans compter le phénomène de la roue qui tourne : plus on mène dans les sondages, plus les médias en parlent, c’est le principe de la saucisse Hygrade. D’ailleurs, en amont, de bons scores successifs dans les sondages permettent d’attirer des candidatures prestigieuses.

Comment tout cela pourrait-il ne pas avoir d’effet sur le vote ?

Ainsi, les médias – qui se targuent de neutralité et d’impartialité – ne viennent-ils pas influer sur l’opinion publique, sans même en avoir l’intention ? Après tout, ce sont eux à la base qui diffusent les sondages, et ils en sont même parfois les commanditaires.

Les voies du sondage sont impénétrables...

Professeure à l’Université de Montréal et experte des sondages, Claire Durand est, ces jours-ci, de toutes les tribunes pour nous rassurer quant à l’innocuité des sondages sur le vote. Je tiens à rappeler que Mme Durand est la présidente de la World Association of Public Opinion Research. Voilà une intervenante qui a, à tout le moins, à cœur de défendre le secteur et sa mission. Ce qui n’enlève rien à sa rigueur, ni à sa bonne volonté, mais cela doit être mentionné.

Mais voilà, comment mesurer l’influence ou la non-influence des sondages sur les électeurs ? Eh bien, en menant un sondage, pardi !

Selon les études menées par la professeure à la suite des élections provinciales de 2007 et 2012 (et aussi les élections fédérales de 2008 et 2011), pas moins de 20 % à 30 % des électeurs interrogés ont admis que « les sondages avaient eu un impact sur leur décision de vote ». Ce n’est pas rien !

Quand surgit le doute

Dans Sondages, outils de la démocratie ou opinion réalité, tout juste publié, le chercheur René Gélinas rapporte les propos de la chroniqueuse Chantal Hébert, qu’il a interviewée dans le cadre de la rédaction de son ouvrage.

« Si je vois un sondage qui me surprend, qui ne correspond pas à l’idée que je me fais de la réalité, c’est que je n’ai pas fait mon job. Je n’ai pas bien décodé l’environnement », y affirme Mme Hébert. Or il se trouve que, parfois, les sondeurs se trompent, tout simplement. La réalité est que ni eux, ni les chroniqueurs politiques ne disposent de boules de cristal pour lire l’avenir.

Bien sûr, les outils d’agrégation de sondages, comme Québec 125 ou Too Close To Call, permettent d’affiner les prédictions. Mais, encore une fois, il est permis de se demander à quel point ces prédictions ne se transforment pas parfois en une sorte de prophétie autoréalisatrice.

Dans une lettre ouverte publiée récemment par La Presse, Mme Durand avance que « les sondages constituent la seule information scientifique disponible permettant aux électeurs de savoir comment pensent les “ autres ”, ceux qu’ils ne connaissent pas, qui ne vivent pas dans le même environnement ou la même région qu’eux ».

Je ne le crois pas. L’outil le plus fiable pour mesurer cela demeure le résultat du vote. Nous disposerons en octobre de toutes ces données et pourrons les décortiquer jusqu’à plus soif, s’il nous prend l’envie de mener des études sociologiques approfondies.

Pourquoi alors cet empressement à présenter et à analyser des données incertaines avant même le vote, si ce n’est pour « se faire une opinion » ou, autrement dit, être influencé ?

Apostasier ? Non, mais...

La question demeure : est-ce que les médias diffusent et accordent trop d’importance aux sondages ? Et si la réponse est oui, alors on fait quoi ? On en publie moins, au profit de plus de débats et d’entrevues de fond ?

Je doute de voir cela advenir naturellement un jour... Si la population ne s’intéressait pas aux sondages, les médias n’en feraient pas aussi grand cas. L’appétit est là et la vérité est que nous en sommes pas mal tous friands, moi la première, l’être humain étant naturellement curieux. Au point où je me demande parfois s’il ne s’agit pas là, en fait, d’une forme de plaisir un peu coupable.

Or le temps est peut-être venu de songer à interdire la publication et la mention des sondages dans les médias durant les deux dernières semaines de la campagne, et par là je veux dire tous les sondages : internes, amateurs, bâclés, ou encore ceux à la méthodologie reconnue que mènent les grandes firmes.

Cela aurait le mérite de laisser les gens se faire une idée par eux-mêmes, en fonction des idées mises de l’avant et non du vote futur du voisin.

Réfléchir n’est pas une hérésie

À l’argument faisant valoir que, « oui, mais, si on interdit les sondages, la rumeur l’emportera, les partis “ spinneront ” de la fausse information et les fake news proliféreront », je réponds que, de toute façon, tout cela a déjà cours sur les réseaux sociaux.

Avez-vous lu le texte du collègue Jeff Yates, la semaine dernière, dans ce billet ? L’info sur les élections ayant le plus circulé en début de campagne consistait en un ramassis de faits non vérifiés mis en ligne par un compte obscur (https://www.fpjq.org/ce-que-les-journalistes-doivent-apprendre-des-reseaux-sociaux/).

Ainsi, les moins outillés des électeurs seront toujours influencés par tout et rien, pour un oui ou pour un non. Pour les autres, ceux qui consultent les sondages et qui seraient en moyenne, toujours selon Mme Durand, plus instruits, plus âgés et plus intéressés par la politique, eh bien, l’effet bandwagon demeure un péril.

Quant à l’argument selon lequel « les pays où il n’y a pas de sondage sont des dictatures », je réponds bien évidemment que c’est parce que nous sommes en démocratie que nous nous posons la question des sondages, ils vont de pair avec des élections libres.

Et parce que nous sommes en démocratie et que les sondages – et les médias qui les diffusent – ont un rôle à y jouer (un rôle d’éclairage, d’analyse et, incidemment, d’influence), il me semble qu’il s’agit d’une question à laquelle nous devons réfléchir sérieusement.

Journaliste indépendante et conférencière, Marilyse Hamelin est l’autrice de l’essai Maternité, la face cachée du sexisme. Elle signe aussi le blogue Féminin universel chez Châtelaine.

Les propos reproduits ici nengagent que lautrice. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes dopinion.

Retour à la liste des nouvelles
 

Inscription à l'infolettre

Restez informé(e) de nos nouvelles et des activités à venir