Par Mathieu Roy-Comeau
Depuis les élections tenues le mois dernier, le climat linguistique se déchaîne au Nouveau-Brunswick et les journalistes francophones se retrouvent au milieu d’une tempête.
Le 24 septembre, les Néo-Brunswickois ont élu pour la première fois trois députés du People’s Alliance Party. À l’échelle provinciale, le parti populiste de centre-droite est arrivé au 3e rang en récoltant 12,6 % des suffrages. Lorsque l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick reprendra ses activités à la fin du mois, les élus de ce parti auront proportionnellement environ le même poids que les députés du Parti québécois à l’Assemblée nationale.
L’arrivée du People’s Alliance Party à l’Assemblée législative pose un rare défi aux journalistes francophones, parce que le parti est profondément opposé à l’égalité des deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick.
Depuis sa création, en 2010, le parti s’est fait beaucoup de capital politique en surfant sur l’intolérance d’une partie de la population anglophone envers la minorité francophone.
Au nom de la responsabilité financière et du fameux « common sense », le People’s Alliance Party veut notamment mettre fin au transport scolaire homogène pour les élèves de la minorité francophone et abolir le réseau de la santé francophone au profit d’une grande structure bilingue.
Le parti veut aussi éliminer le Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, sous prétexte que ce bureau ne fait que créer de la « division » parmi la population.
Jusqu’ici, les médias francophones avaient plus ou moins ignoré le People’s Alliance Party. Au-delà de l’anecdote, les propositions incendiaires de l’obscure formation politique, qui récoltait entre 0 % et 2 % dans les sondages, avaient bien peu d’intérêt pour le public acadien.
Depuis le 24 septembre, le People’s Alliance Party ne peut plus être ignoré. Avec seulement trois députés, le parti détient la balance du pouvoir à Fredericton, alors que ni les libéraux ni les progressistes-conservateurs n’ont remporté la majorité des circonscriptions (du jamais vu depuis 1920 au Nouveau-Brunswick).
L’importance de l’attention médiatique accordée au People’s Alliance Party, en anglais comme en français, s’est rapidement ajustée à son nouveau poids politique. L’angle de couverture est toutefois très différent.
Pour les médias anglophones, le People’s Alliance Party est un parti à peu près comme les autres, soit une formation politique dont on peut défendre ou vanter le programme électoral selon la position que l’on occupe dans la société ou sur l’échiquier politique. Il n’est pas rare d’ailleurs que les éditorialistes ou les chroniqueurs anglophones défendent les positions du People’s Alliance Party, malgré les torts immenses que celles-ci pourraient causer à la communauté francophone.
En comparaison, les journalistes francophones ressemblent presque à des activistes, mais il n’en est rien. Pour les Acadiens, le People’s Alliance Party n’a rien d’un parti comme les autres et la couverture médiatique reflète cette réalité. Il n’y a pas de place pour un débat lorsque les droits et les acquis d’une communauté qui souhaite défendre sa langue et sa culture sont en jeu.
Malgré la différence notable entre leur couverture et celle de la majorité anglophone, les journalistes francophones du Nouveau-Brunswick souscrivent aux mêmes principes fondamentaux que l’ensemble de leurs collègues de la planète : l’objectivité, l’impartialité et la quête de la vérité.
Les journalistes francophones du Nouveau-Brunswick et le public à qui ils s’adressent ont toutefois une perspective et une sensibilité uniques et ces différences ne plaisent pas à tout le monde.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les partisans du People’s Alliance Party sont mécontents de la couverture médiatique dont leur parti fait l’objet en français. La campagne électorale commençait à peine qu’une plainte avait déjà été déposée auprès de l’ombudsman de Radio-Canada, qui n’a absolument rien trouvé à reprocher au reportage en question.
Les journalistes francophones et leurs médias font aussi l’objet d’attaques sur les médias sociaux comme on en voyait peu jusqu’à tout récemment ; c’est une nouvelle réalité avec laquelle il va dorénavant falloir composer au Nouveau-Brunswick.
Les Acadiens peuvent toutefois se rassurer en sachant qu’ils peuvent compter sur les journalistes francophones pour leur transmettre dans leur langue les informations crédibles et les analyses solides dont ils ont besoin pour comprendre et affronter le monde qui les entoure.
Si l’importance d’une presse francophone libre et indépendante était encore à prouver, en voilà la preuve parfaite.
Mathieu Roy-Comeau est le correspondant de l’Acadie Nouvelle à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick depuis 2014. Il est aussi le président de l'Association acadienne des journalistes.
Les propos reproduits ici n’engagent que leur auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.