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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

L’essentiel journalisme

Par Jean-Benoît Nadeau, journaliste, chroniqueur au Devoir, collaborateur au magazine L’actualité et administrateur au conseil d'administration de la FPJQ

Cet éditorial a été publié initialement sur Avenues.ca

Alors que débute La semaine de la presse et des médias, qui durera jusqu’au 8 mai, il faut souligner le rôle fondamental des journalistes qui exercent un métier si mal compris, parfois honni, mais qui est pourtant un rouage essentiel des démocraties. À une époque où le Web et les réseaux sociaux donnent à n’importe qui le pouvoir de publier n’importe quoi, il faut aussi redire ce que font les vrais journalistes et ce qu’est une vraie information.

Si les deux paliers de gouvernement commencent à réagir pour préserver les médias et le droit à une information juste, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, notamment pour les cadres légaux qui ne se sont pas encore adaptés au cyberespace et aux réseaux sociaux.

Réduit à sa plus simple expression, le journalisme fait la chronique de son temps – de «ce qui se passe». Sans ce travail désintéressé et souvent mal payé, le public ne saurait pratiquement rien de l’Ukraine, par exemple.

C’est grâce au journalisme qu’on a pu se faire une idée très nette de la gravité des événements au Capitole de Washington en janvier 2021 ou du siège des camionneurs à Ottawa en février dernier.

C’est encore grâce au journalisme qu’on a pu faire la lumière sur les crimes sexuels au sein des Forces armées canadiennes. Sans compter la multitude de petits crimes commis impunément par nos policiers, nos fonctionnaires, nos gens d’affaires, nos politiciens au Parlement, à l’Assemblée nationale, dans les conseils municipaux.

Si le journalisme disparaissait d’un coup, la terre continuerait certes de tourner et les autres institutions démocratiques fonctionneraient encore – du moins un certain temps. Mais on sait très bien que sans surveillance, elles sont toutes sujettes à des dérives. Et seul le journalisme, en les forçant à rendre compte, a le pouvoir de les sortir de leur ronron.

Même si le journalisme n’est pas une institution publique au même titre que les cadres politiques, gouvernementaux et judiciaires, on en parle comme du quatrième pouvoir, non pas à cause de son rôle occulte, mais au contraire parce qu’il s’appuie sur deux droits essentiels: celui de savoir et celui de dire, dont l’évidence est trop facile à oublier.

Tout citoyen a le droit de demander aux gouvernements des informations qui le concernent personnellement ou qui l’intéressent, tout simplement. Ce droit est vital au pouvoir d’enquête de la presse. Et c’est pourquoi les journalistes suivent de très près son application et condamnent les moindres dérives et tentatives de censure.

Le journalisme défend aussi la liberté de presse, pas pour lui seul, mais pour tous les citoyens. Si nos concitoyens ont le droit de dire et de publier n’importe quoi, c’est aussi parce que la liberté de presse existe. Actuellement, dans notre système, n’importe qui peut se proclamer journaliste, et même créer son journal ou son cybermédia. C’est une des forces de notre système de l’encourager, mais ce droit a aussi sa face obscure. Car certains détournent cette liberté fondamentale pour tromper les gens, produire des faussetés, diffuser des discours haineux et encourager des félonies au grand jour.

Ce que font les journalistes

Au début de la pandémie, lors des conférences de presse quotidiennes, bien des citoyens se sont offusqués de voir les journalistes «cuisiner» le premier ministre, les ministres ou le docteur Arruda avec des questions insistantes, irritantes, cinglantes – parfois niaiseuses, aussi. Mais c’est mal comprendre le journalisme de croire que les journalistes ne font que rapporter aveuglément ce qu’on leur dit. À Moscou ou à Pékin, certes, mais pas ici. Parce qu’avant de rapporter, les journalistes questionnent. Le fondement du journalisme consiste à forcer ce genre de questions désagréables pourtant essentielles.

Mais ce qui différencie justement les journalistes des pseudo-journalistes, et l’information de la pseudo-information, c’est que les vrais journalistes se font un honneur de publier une information juste, vérifiable et sans cesse vérifiée.

Il est juste de parler du journalisme comme d’une institution, car il n’y a pas de journaliste solitaire. Le journalisme est un travail d’équipe, un collectif qui vise à faire savoir, mais aussi à vérifier les faits avec scrupule pour s’assurer que ce qui est écrit ou dit est vrai ou, à tout le moins, vérifiable.

Derrière les journalistes, les reporters et les pigistes et les photojournalistes, qui sont la partie la plus visible de la profession, on trouve tout un bataillon d’affectatrices, de rédacteurs, de pupitreuses, de réviseurs qui vérifient l’information, lui donnent un sens et la mettent en forme.

Contrairement aux électrons libres qui font de l’opinion ou de l’humeur sur leur blogue personnel, les journalistes professionnels, eux, ont des comptes à rendre à leur rédactrice en chef, leur directeur de l’information et leur éditrice.

Cette information peut prendre la forme de nouvelles, de reportages, d’enquêtes, d’entrefilets. Et ceux qui occupent les tâches délicates de produire de l’opinion, sous forme de chroniques ou d’éditoriaux, sont toujours des journalistes chevronnés. Rien à voir avec des «influenceurs». Les vrais journalistes ne sont jamais sous influence: ils se sont dotés de structures de fonctionnement qui garantissent leur indépendance. Pour que ceux qui écrivent, disent ou montrent ne soient jamais influencés par les publicitaires, les marchands et les propagandistes de tout acabit. Le système est-il parfait? Non, mais on n’a pas encore trouvé mieux pour produire de l’information légitime.

Les journalistes québécois se sont donné un code de déontologie qui va très au-delà de la simple éthique puisqu’il fait état de toutes les obligations morales auxquelles doivent se conformer les vrais journalistes: véracité, indépendance, absence de conflit d’intérêts, et même d’apparence de conflit d’intérêts. La presse québécoise, c’est une de ses particularités, s’est même dotée d’un tribunal d’honneur, le Conseil de presse, qui entend les plaintes du public et condamne les errements journalistiques.

S’informer sur l’information

Le Conseil de presse n’est pas le seul particularisme du journalisme québécois. De toutes les provinces canadiennes, c’est au Québec que le journalisme se porte globalement le mieux. C’est en partie parce que la barrière de la langue a créé un effet d’isolement relatif envers Facebook. C’est beaucoup parce que les Québécois recherchent une information qui les reflète, eux. C’est aussi parce que les journalistes québécois se sont mieux organisés qu’ailleurs, avec une Fédération professionnelle des journalistes de plus de 1 500 membres s’appuyant sur un très solide code de déontologie et une demi-douzaine de chapitres régionaux parfois très actifs, mais aussi une Association des journalistes indépendants, une Association des communicateurs scientifiques, et même un Centre québécois d’éducation aux médias et à l’information.

La Semaine de la presse et des médias donnera au public québécois une occasion en or de mieux comprendre ce métier et ses enjeux à travers une foule d’activités un peu partout au Québec, comme des expositions, des conférences et des discussions publiques. Le point d’orgue aura lieu samedi, alors que se réuniront deux grandes tables rondes sur la diversité culturelle et la confiance du public, suivies de la remise des prix Judith-Jasmin et Antoine-Désilet, qui récompenseront le nec plus ultra du journalisme en 2021.

Vous en apprendrez long sur les conditions difficiles dans lesquelles les journalistes exercent leur métier. Les journalistes ont subi la menace. Reporters sans frontières et Amnistie internationale publient chaque année des compilations exhaustives de journalistes tués, battus ou enlevés. Pareils crimes sont rarissimes au Canada, où il faut plutôt s’inquiéter de la montée des tentatives d’intimidation physique, et surtout de la cyberintimidation et du cyberharcèlement.

Le journalisme lui-même est également en danger. Non pas à cause des tentatives de censure, qui ont toujours existé, mais parce que son écosystème économique est bouleversé. Facebook et Google contribuent certes à la diffusion de la nouvelle, mais ils tuent les médias à petit feu en aspirant tous les revenus publicitaires. Au Canada, quelque 300 médias ont disparu entre 2011 et 2020, dont les trois quarts dans des communautés locales.

Heureusement, les gouvernements se réveillent un peu partout. Jadis, ils ont dû défendre l’accès à l’information et la liberté de presse par des lois. Actuellement, ils prennent conscience de la faillite financière qui guette le vieux modèle économique de l’institution journalistique, et recherchent de nouvelles façons de le refonder. C’est pourquoi on voit des pays comme l’Australie, la France et le Canada mettre en place des lois et des structures de redistribution qui favorisent la production de nouvelles locales.

Ottawa, après avoir lancé une première initiative de financement de la nouvelle locale en 2018, planche déjà sur des projets de loi qui vont forcer les géants du cyberespace à partager leur assiette publicitaire avec la presse locale. Ottawa veut aussi les forcer à contribuer au système de redevances audiovisuelles sur le même pied que les câblodistributeurs canadiens. Dans les prochains mois, d’autres projets de loi viseront à contrôler les discours haineux en ligne et à moderniser le droit d’auteur, autre pierre angulaire du modèle économique des médias.

Tous ces dispositifs auront, de manière directe et indirecte, le pouvoir de sortir le journalisme canadien des contraintes qui le fragilisent depuis 20 ans. Et ce seront toutes les institutions démocratiques et la vie des citoyens qui s’en trouveront améliorées.

* L’auteur est membre du conseil d’administration de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Il a également été le traducteur de la version française du rapport «Le miroir éclaté, cinq ans plus tard», publié par le Forum des politiques publiques.
 

Cet éditorial a été publié initialement sur Avenues.ca

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