De Michaël Nguyen et Éric-Pierre Champagne, président et vice-président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)
« En ce monde, rien n’est certain à part la mort et les impôts », a déjà affirmé Benjamin Franklin. À ces deux constats, devrait-on ajouter la plus-que-nécessaire réforme de la loi sur l’accès à l’information ignorée par tous les gouvernements québécois depuis plusieurs années ?
Il y a un an, la FPJQ et plusieurs autres organisations regroupant citoyens et chercheurs signaient une lettre ouverte réclamant une révision de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
Que s’est-il passé depuis ? Rien. Niet. Nada.
Ce n’est malheureusement pas une grande surprise. Les gouvernements qui se sont succédé au cours des dernières années ont tous ignoré cette loi désuète, malgré, parfois, des promesses de transparence accrue.
Qui ne se rappelle pas l’engagement de l’ancien premier ministre Philippe Couillard de faire de son gouvernement élu en 2014 le plus transparent de l’histoire du Québec ?
Que s’est-il passé après 2014 ? Rien. Niet. Nada.
Quatre ans plus tard, la FPJQ signait une autre lettre ouverte avec le Conseil de presse du Québec et plusieurs patrons des principaux médias québécois. Nous dénoncions alors l’adoption de la loi 164 qui restreignait l’accès aux documents du Conseil exécutif, qui relève du premier ministre. Nous réclamions aussi un nouveau projet de loi sur l’accès à l’information.
Que s’est-il passé ? Rien, niet, nada encore une fois.
Depuis 2018, quatre ministres se sont échangé la responsabilité du dossier de l’accès à l’information au gouvernement du Québec. Rien n’a bougé pourtant.
Ce ne sont pas les arguments qui manquent afin de procéder à une réforme de la loi adoptée il y 40 ans. À l’époque, celle-ci était considérée comme l’une des plus novatrices au Canada. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, comme le constate la Commission d’accès à l’information (CAI) du Québec depuis plusieurs années.
Il n’y a qu’à lire le plus récent rapport quinquennal de la CAI pour relever les nombreux « trous » dans la loi, qui font en sorte que l’accès à l’information au Québec est de plus en plus problématique.
Or, pour plusieurs, l’accès à l’information est une « bébelle » de journalistes en manque de primeurs. C’est peut-être ce qui explique le peu d’intérêt de la population en général pour cette loi mal connue.
Il est vrai que les journalistes utilisent régulièrement l’accès à l’information dans le cadre de leur travail. Mais contrairement à la croyance populaire, les demandes d’accès déposées par des journalistes ne représentent qu’une très faible proportion du volume total des demandes faites au cours d’une année.
Ce qui signifie que la grande majorité des demandes sont présentées par des citoyens, différentes organisations et parfois même, des élus ! C’est ce qu’on appelle l’éléphant dans la pièce, dont on parle trop peu souvent.
C’est avec cette perspective en tête que nous invitons le public à s’intéresser à cet enjeu qui n’est peut-être pas le plus sexy, mais néanmoins primordial.
« La Commission constate qu’un nombre de plus en plus important de dispositions législatives écarte l’application de Loi sur l’accès et de la Loi sur le privé, érodant progressivement leur caractère prédominant », conclut d’entrée de jeu la CAI dans son plus récent rapport quinquennal. Des dispositions qui briment de plus en plus des droits fondamentaux dans une société démocratique, signale le rapport.
Ce n’est pas tout. En matière de restrictions au droit d’accès, la CAI fait remarquer que Québec ressemble de plus en plus à un élève à qui on a fait porter le bonnet d’âne. « C’est au chapitre des restrictions au droit d’accès aux documents que la Loi sur l’accès est la plus inefficace et qu’elle s’éloigne le plus des standards internationaux modernes », indique-t-on.
Dans une perspective citoyenne, la CAI souligne entre autres les difficultés rencontrées pour avoir accès aux dossiers d’enquête des ordres professionnels. Elle suggère notamment de revoir la « discrétion quasi absolue » des ordres professionnels pour refuser de communiquer certains documents. Considérant que la mission première d’un ordre professionnel est de protéger le public, cette recommandation ressemble à une vérité de La Palice.
La lecture de la version abrégée du dernier rapport quinquennal de la CAI vaut assurément le détour. Le problème, c’est que ce rapport date... de 2016. Le gouvernement a en effet décidé de reporter à 2026 la publication du rapport prévue en 2021.
Alors que le bilan du Québec en matière d’accès à l’information ne cesse de s’assombrir, peut-on vraiment se permettre d’attendre 10 ans avant de faire un état des lieux ? Si un élève échoue presque systématiquement à ses examens les plus importants, la solution serait-elle de cesser de l’évaluer
C’est la question que nous posons à l’ancien ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, qui est maintenant responsable de l’accès à l’information au sein du cabinet. Le ministre a démontré récemment une certaine ouverture à déposer un projet de loi sur l’accès à l’information, mais il faudra plus que des paroles cette fois-ci.
Pour lire la version abrégée du dernier rapport quinquennal de la Commission d’accès à l’information :
https://www.cai.gouv.qc.ca/documents/CAI_RQ_2016_res.pdf