Une nouvelle « affaire Fitzgibbon » soulève les passions dans l’actualité.
Le puissant ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, qui est aussi responsable du développement économique régional ainsi que de la Métropole et de la région de Montréal, n’aime pas les questions qui lui ont été posées par un journaliste.
M. Fitzgibbon a publié un message sur son compte Facebook pour dénoncer les questions qu’il n’a pas aimées.
Depuis, le rédacteur en chef du Journal de Montréal, Dany Doucet, a signé un billet pour défendre son journaliste. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a fait une sortie pour dénoncer les attaques du ministre Fitzgibbon. L’éditeur adjoint de La Presse, François Cardinal, a publié un texte qui revient sur cette affaire. Et le chroniqueur et ancien maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, a signé un billet à ce sujet le 22 décembre dans La Presse.
La question n’est pas de savoir si Pierre Fitzgibbon a le droit, ou non, de critiquer les médias. Évidemment qu’il a le droit de le faire. C’est même sain qu’il le fasse.
Les médias ne sont pas parfaits. Et c’est important qu’on puisse les critiquer. Et les journalistes eux aussi ne sont pas à l’abri des critiques. Qu’ils aiment ça ou pas, ça fait partie du jeu démocratique.
Mais de quoi est-il question ici ? Avant de poursuivre, prenons le temps de relire les fameuses questions posées à Pierre Fitzgibbon :
— Le ministre estime-t-il que son don annoncé de 5 millions de dollars à HEC Montréal envoie un mauvais message aux autres universités ?
— Pourquoi ne pas avoir attendu après son mandat de ministre pour l’annoncer ?
— Peut-il m’accorder une entrevue là-dessus ?
Maintenant, revenons au message de M. Fitzgibbon sur les réseaux sociaux…
— « Pourtant, même un don personnel et désintéressé génère de l’intérêt mal intentionné de la part d’un journaliste de mauvaise foi ».
— « Trop souvent, les Québécois ne voient pas l’agressivité et la mauvaise foi de ces questions au quotidien, souvent posées par le même groupe de presse ».
— « Les missions commandées ont trop souvent pris les dessus sur le journalisme sérieux et rigoureux ».
C’est un euphémisme de dire que le ministre n’a pas aimé les questions. Il a le droit. Cependant, il n’y a aucune agressivité dans les questions, au contraire. Elles sont très factuelles.
De la mauvaise foi ? Difficile de tirer une telle conclusion en lisant ces questions. Est-ce le contraire du journalisme sérieux et rigoureux ?
Ce sont des questions qui sont légitimes. Est-ce que le don du ministre à HEC Montréal constitue le scandale du siècle ? Bien sûr que non. Mais on parle d’un ministre qui est rendu à sa sixième enquête de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale.
Il est normal que les médias s’intéressent aux agissements de ce ministre qui, je le répète, est l’un des plus importants au Conseil des ministres.
Pour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, le problème n’est pas que M. Fitzgibbon ait publié les questions du journaliste. Encore là, il peut le faire, aucune règle ne l’en empêche. Le problème, ce sont les accusations et le ton de son message.
Il accuse le journaliste de mauvaise foi. Ses questions seraient agressives. Il ne fait pas du journalisme sérieux et rigoureux, selon lui.
On entend régulièrement des critiques selon lesquelles les journalistes sont complaisants à l’endroit des politiciens. Au plus fort de la pandémie, une frange de la population accusait aussi les médias de ne pas poser les vraies questions aux élus de la Coalition avenir Québec (CAQ).
Les médias, qui ont maintenant droit à des subventions publiques, reçoivent leurs consignes du gouvernement, lit-on à l’occasion. Et pourtant, les journalistes et les médias continuent d’effectuer leur travail, quoi qu’on dise. Je le répète : les journalistes et les médias ne sont pas parfaits. Et le droit de réplique existe.
Le ministre Fitzgibbon aurait très bien pu s’en prévaloir. Plutôt que de s’attaquer au journaliste avec une tactique digne des ligues de garage, il aurait pu exposer son point de vue de façon réfléchie et posée. Ce qu’il n’a pas fait. C’est son droit.
Mais le pire dans tout ça, c’est que le journaliste n’a pas publié de texte sur cette affaire. Comme ça arrive régulièrement. On pose des questions, mais il n’y a pas toujours un reportage qui s’en suit.
Une évaluation est faite par la suite pour déterminer si le sujet mérite une couverture ou non. Ici, il n’y a même pas eu de texte à la suite des questions – et des réponses – au sujet du don de Pierre Fitzgibbon à HEC Montréal.
C’est le ministre lui-même, en quelque sorte, qui a créé cette nouvelle « affaire Fitzgibbon » en publiant les questions du journaliste qu’il n’a pas aimées. Sans cela, personne n’en aurait parlé.
Les journalistes vont donc continuer de poser des questions. Mais ce ne sont pas les questions qui sont importantes, ce sont les réponses. C’est notre travail d’informer le public, de poser des tonnes de questions, parfois difficiles.
Dans ce cas-ci, le journaliste et son média ont jugé finalement que les réponses ne méritaient pas qu’on écrive là-dessus. Le ministre Fitzgibbon aurait peut-être dû en faire autant de son côté…
Éric-Pierre Champagne (photo)
Vice-président de la FPJQ et journaliste à La Presse