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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Évidemment, les propos tenus dans le billet n’engagent que leur auteur.

Les médias ont moins d’argent pour couvrir les campagnes électorales et ne suivent plus les caravanes… ni les spin doctors. Est-ce pour le mieux ?

Le texte a été initialement publié sur le site de The Conversation

Par Patrick White

Professeur de journalisme, responsable du programme de journalisme à l'UQAM et membre de la FPJQ

La couverture des campagnes électorales se planifie souvent des mois à l’avance en raison des coûts astronomiques qu’elles entraînent. Ce sont les Jeux olympiques de la politique.

Que ce soit au fédéral, ou au Québec, les territoires à couvrir sont immenses pour les médias et nécessitent des avions et des autobus nolisés par les partis politiques. Et les médias paient les frais. Et on parle de gros sous ici.

Pour la campagne en cours, le tarif pour chaque membre d’un média avec Justin Trudeau est de 28 000$ pour toute la campagne ou 5500$ par semaine.

Ces tarifs sont exorbitants et nuisent à l’accès pour les médias. La couverture des campagnes coûte trop cher. Cette année, par exemple, La Presse canadienne et Radio-Canada sont les deux seuls médias francophones du pays à suivre à temps plein le premier ministre Trudeau dans l’avion et le bus. La Presse canadienne demande un paiement supplémentaire à ses abonnés pour la couverture de la campagne électorale.

Au total, il y a à peine 12-13 journalistes, photographes et techniciens avec le premier ministre sortant. Par exemple, les quotidiens nationaux La Presse, Le Devoir, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec n’y sont pas. Leurs journalistes se déplacent au besoin et par leurs propres moyens.

Professeur de journalisme à l’UQAM depuis 2019, j’ai pour ma part couvert toutes les campagnes fédérales et provinciales de 1990 à 2006 pour CTV News, Reuters et La Presse canadienne, incluant le référendum de 1995 et celui sur l’accord de Charlottetown en 1992. Nous étions alors plusieurs dizaines de journalistes québécois et canadiens-anglais dans les avions et autobus.

Une couverture plus informelle

Pour réduire les coûts, les chaînes de télé ont mis sur pied un système de pool, ou de partage d’images. TVA, Radio-Canada, Noovo Info, CTV, CBC, Global, CPAC et City TV partagent ainsi les coûts des caméramen à bord de chaque avion/autobus pour chacun des cinq chefs (PLC, PCC, NPD, Bloc et Parti Vert). Pour le Bloc québécois, par exemple, c’est TVA Nouvelles qui fournit le caméraman pour tous les autres réseaux du pays.

Est-ce que les citoyens sont perdants au bout du compte ? Je crois que oui. Moins de journalistes sur le terrain équivaut à moins de questions posées et moins d’angles de couverture. Les absents ont toujours tort. Mais à quel prix ? Qui peut se payer un journaliste dans chaque avion/bus avec chaque chef, à part les gros joueurs comme Radio-Canada/CBC, La Presse canadienne/The Canadian Press, The Globe and Mail, et un ou deux autres ?

Cependant, comme les campagnes électorales sont de plus en plus formatées, et présentées comme des photo-ops (opportunités photos où le parti fait une annonce ciblée par jour), et que LCN et RDI diffusent les points de presse en direct, il est aisé de comprendre que plusieurs médias délaissent la couverture officielle des campagnes et préfèrent focaliser sur la valeur ajoutée : portraits de comtés et de chaudes luttes régionales, grandes entrevues, demandes d’accès à l’info, surveillance en temps réel des médias sociaux, vérification des faits, journalisme de données, analyse des sondages, etc.

La Presse par exemple envoie des reporters un peu partout au pays pour prendre le pouls du Canada anglais, tout comme le Journal de Montréal et le Journal de Québec.

Il ne faut pas oublier non plus le fait que la couverture des médias est désormais multiplateforme (radio, télé, web, alertes mobiles, vidéos, balados, infolettres, données, etc.), ce qui ajoute une pression additionnelle.

On se dirige donc de plus en plus vers une couverture moins officielle des campagnes, ce qui est une bonne nouvelle, sachant que les annonces officielles des partis chaque jour font partie d’une campagne de marketing. Les médias n’ont pas à suivre la ligne officielle des partis. Dans les autobus et les avions des chefs, les journalistes sont en effet sujets à la présence de spin doctors des partis politiques, qui tentent subtilement d’influencer leur couverture.

Les obsessions des médias

Un des buts des médias en campagne électorale est de couvrir les fameux X Factors, soit les angles morts. Quel impact la crise en Afghanistan aura-t-elle sur la campagne ? La pandémie de Covid-19 ? La hausse de la violence à Montréal ? L’inflation ? Les faux pas d’un candidat sur TikTok ou Facebook ? Les commentaires déplacés d’un candidat ici et là ?

La campagne est donc souvent tirée vers la couverture des « shows de boucane » et il y en a beaucoup durant les campagnes en raison de la forte influence des médias sociaux. Le gazouillis de la ministre Chrystia Freeland en est un exemple. La vidéo tronquée de Erin O’Toole a été notifiée par Twitter comme du contenu manipulé et cette désinformation d’une ministre du gouvernement a mis le Parti libéral du Canada dans l’embarras. Le geste a été dénoncé et les médias sont sur leur garde.

Autres grands éléments des campagnes : les débats des chefs et les sondages. Les médias y accordent une importance disproportionnée et les faiseurs d’images y règnent en maître. Lors des débats, on décrit la joute oratoire comme un combat de boxe. On cherche les K-O, et ça prend inévitablement un gagnant et un perdant. Les débats sont ultra formatés et laissent très peu de place à l’improvisation. Les thèmes sont décidés à l’avance par une commission fédérale sur le débat des chefs, en collaboration avec les grands médias du pays. Il y a déjà eu beaucoup de critiques sur le format trop rigide de ces débats, qui auront lieu les 8 et 9 septembre au Musée canadien de l’histoire à Gatineau.

Dans le cas des sondages, il y en a désormais à tous les jours, réalisés avec de petits échantillons, et de grands sondages chaque semaine. Cela fait en sorte qu’on nage en tout temps dans des analyses et des projections de sièges faites par des analystes comme Éric Grenier (de CBC News) et PJ Fournier, ou encore par des sondeurs de renom comme Jean‑Marc Léger.

Comme un certain nombre de citoyens votent souvent en fonction des sondages d’opinion, la grande majorité des médias canadiens les utilisent pour la couverture des campagnes. Cela devient malsain. Ne devrait-on pas interdire la publication de sondages dans les 2-3 jours avant le jour du vote ? Cela se fait déjà en France.

Mieux couvrir les campagnes

Il y a encore bien du travail pour améliorer la couverture des campagnes électorales et combattre le cynisme des citoyens envers la politique. On semble trop se fier aux sondages et aux débats des chefs pour créer des moments forts. On cherche souvent des formules chocs et le clip du jour.

On se retrouve ainsi à tourner un peu en rond en effleurant à peine les grands débats du pays, comme la question du climat. Certains médias devraient prendre l’exemple du National Observer et du Narwhal, tous deux obsédés par la question climatique. Au Québec, le média de l’action climatique Un Point Cinq joue aussi bien ce rôle de vigie.

Une plus grande collaboration entre les médias locaux, régionaux et les grands médias du pays pourrait aussi être un début de réflexion. Histoire de faire mieux.

Lire le texte sur le site de The Conversation.

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