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Évidemment, les propos tenus dans le billet n’engagent que leur auteur.

La Nouvelle Place se met en place

Par Jean-Benoît Nadeau

« Nouvelle Place », c’est le nom provisoire du projet de créer un média social québécois à but non lucratif, qui serait la nouvelle place publique numérique, et qui fait beaucoup jaser depuis que l’idée a été lancée dans Le Devoir en août 2023.

« Ça nous prend un autre modèle d’affaires qui tiendrait compte du rôle social des médias et qui ne viserait pas le profit », explique l’idéateur du projet, Steve Proulx, président de l’agence 37e AVENUE. « Ça faisait plusieurs années que j’y pensais, mais le blocage des médias canadiens par Meta m’a décidé à agir. »

Le Québec, explique-t-il, a besoin d’une cyberplace publique qui aurait « un parti pris absolu » pour une information de qualité. « Notre esprit est celui d’offrir un service public dont les gouvernements ne s’occupent pas – c’est l’esprit coopératif. »

« Nouvelle Place ne réinventera pas la roue. Ça ne sera pas une révolution technique. La révolution va être dans la gouvernance. Parce que ce qui est derrière tous les problèmes des médias sociaux actuels, la haine, la désinformation, c’est leur modèle d’affaires axé sur le profit. Ça n’a aucun bon sens de laisser des milliardaires gérer cette place publique selon leurs critères. »

 

Par et pour ses membres

Puisque la gouvernance fera toute la différence, parlons-en. La Nouvelle Place sera une coopérative de solidarité. Elle aura trois catégories de membres – consommateurs, producteurs et membres de soutien – qui assureront sa gouvernance à parts égales.

Les consommateurs seront tous ceux qui fréquenteront la Nouvelle Place pour s’informer et partager les contenus. Les producteurs seront les entreprises (ou individus) qui produiront du contenu de manière active à partir de leur propre page. Les membres de soutien seront les acteurs sociaux (association de journalistes, de municipalités, ordres professionnels, peu importe) préoccupés par la mission sociale de cette place publique virtuelle.

Steve Proulx est à la tête du comité provisoire de cinq personnes qui établit les bases de l’affaire. Il s’agit de Patrick Pierra (éditeur d’Infobref), Claude Poulin (président de Néomédia), Claudia Beaumont (cheffe de produit numérique chez Noovo) et Margot Pasquier (membre de la coopérative de communications Coop 25e heure). Ils profitent également des conseils d’un noyau élargi d’une quarantaine de personnes, dont Alain Saulnier et Jean-Hugues Roy. « Autour, nous comptons 600 personnes inscrites à notre site web pour se tenir informées des développements. »
 

La technique toujours recommencée

Au départ, Nouvelle Place ressemblera à du microblogage sauce Threads ou X. « On n’aura pas le choix d’être techniquement simple. L’idée est de fédérer les voix publiques et les acteurs sociaux québécois. »

L’équipe compte développer un algorithme de visibilité qui fonctionnera sur la base d’une information de qualité plutôt que pour produire du clic. « Ce sera certainement moins addictif que Facebook, mais notre optique sera justement le service public. La Nouvelle Place ne sera pas là pour scotcher le monde parce qu’elle ne fonctionnera pas selon des exigences de profit. »

La Nouvelle Place, explique Steve Proulx, ne remplacera pas Facebook ou X, pas plus que les portails des médias. « Mais dans le contexte où 80 % des conversations sur les médias sociaux sont essentiellement le fait de structures locales, pourquoi est-ce qu’on n’aurait pas une structure locale pour le faire, et qui serait capable d’assurer un vrai service à la clientèle avec une vraie personne qui répond plutôt qu’un agent conversationnel ? »
 

Pour faire des affaires, il faut des sous

Le plan d’affaires prévoit un investissement initial de 6 à 10 millions $ pour lancer la plateforme selon un premier modèle, qui évoluera nécessairement. « On croit pouvoir fonctionner avec un budget annuel d’une douzaine de millions et 50+ employés. Mais au départ, c’est certain qu’on aura besoin d’un financement de l’État, mais on espère aussi une ou des commandites. »

Les sources de revenus seront diverses : certaines catégories de membres, notamment les producteurs, devront s’abonner pour avoir leur page. « La publicité suivra, éventuellement, mais rappelons-nous que Facebook ne vendait pas de la publicité au départ. » Une des clés tiendra également aux revenus découlant des mégadonnées générées. « Là-dessus, nous serons prudents. Contrairement aux médias sociaux actuels, on ne veut pas que ce soit géré n’importe comment ni vendu à n’importe qui. »

En parallèle au plan d’affaires et aux réunions techniques, l’équipe de Nouvelle Place travaille actuellement à réunir des lettres d’intérêts d’acteurs sociaux. « Un de nos grands défis sera de recruter de futurs membres que nos utilisateurs trouveront pertinents. »

Steve Proulx approchera officiellement les médias quand le projet sera plus avancé, mais certains, notamment Télé-Québec, lui ont déjà assuré un soutien spontané, de même que des organismes tels l’AJIQ, Hebdo Québec et même l’Ordre des pharmaciens. « Ce sont d’éventuels membres de soutien qui ont un intérêt pour une place publique faisant une large place à une information véridique et vérifiée. »

Ce projet s’inscrit clairement dans un mouvement de remise en question des structures du cyberespace. « C’est un cybercontinent qui a été colonisé par les géants du web, qui ne sont pas les meilleurs colonisateurs. »

Existe-t-il un danger que la Nouvelle Place connaisse le même sort que le Panier Bleu ? « On nous associe au Panier Bleu depuis le début, mais nous serons très différents. Le Panier Bleu était d’abord un nom qui s’est parti en trois mois comme une plateforme à but lucratif avec vocation de vendre. Nous, on choisira le nom à la fin. Nous travaillons d’abord à établir la structure d’une plateforme qui sera une place publique avec une vraie vocation de service public. »

Nouvelle Place affiche une certaine parenté avec d’autres initiatives qui ont vu le jour récemment comme celle de Culture cible au Québec, Spaces (Village Media) en Ontario ou Qwice en France.

« L’appétit est réel. NETendances a posé la question à l’automne 2023, et 50 % des 1 000 répondants ont dit que oui, ils seraient prêts à changer de média social si l’option d’une place de service public se présente. »

Quelle sera la mesure du succès ? « La Nouvelle Place appartiendra au public et à ses membres. Si Nouvelle Place compte 500 000 membres, elle sera un succès pour ses 500 000 membres. »

 

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