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Le président de la FPJQ, Éric-Pierre Champagne, témoigne devant le Comité permanent du patrimoine canadien

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Le 15 février 2024, le Comité permanent du patrimoine canadien a entendu des témoignages en lien avec les États généraux sur les médias. Parmi les personnes convoquées ce jour-là figurait le président de la FPJQ, Éric-Pierre Champagne. Le texte publié ici correspond à l'allocution qu'il a prononcée.

Bonjour, 

Je vous remercie pour cette invitation à participer aux travaux du comité permanent du patrimoine.
 
Je suis Éric-Pierre Champagne, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la FPJQ. C’est la plus importante association de journalistes au Canada qui regroupe quelque 1600 membres au Québec. Ils pratiquent tous les métiers de l’information : reporters, recherchistes, réalisateurs, animateurs, chroniqueurs et photographes de presse. Ce sont des pigistes, des salariés et des cadres.
 
Depuis 1969, la FPJQ défend la liberté de presse et le droit du public à l’information. Elle fait entendre la voix des journalistes partout où c’est nécessaire.
 
Pour ma part, je suis journaliste depuis une trentaine d’années. Je travaille au quotidien La Presse depuis plus de 22 ans, où je suis journaliste spécialisé en environnement.
 
Je vous remercie de vous intéresser à cette question de l’avenir des médias et du journalisme. Je suis ici pour vous présenter la perspective des journalistes du Québec, dont le travail est d’informer le public dans un contexte de plus en plus difficile.
 
Je veux également vous mettre en garde : il est important de garder en tête les vrais enjeux auxquels nous faisons face. La crise des médias est un enjeu de société trop important pour la résumer à quelques clichés. 
 
La vérité, c’est que le travail des journalistes est plus important que jamais dans une société de plus en plus polarisée. Mais la vérité, c’est que nous sommes aussi de moins en moins nombreux pour effectuer un travail de plus en plus difficile.
 
En 10 ans, soit entre 2010 et 2020, la profession a perdu 23 % de ses effectifs au Canada. Pour reprendre les propos d’Amélie Daoust-Boisvert, professeure de journalisme à l’Université Concordia, si le quart des effectifs du système de justice canadien s’étaient évaporés en 10 ans, resterions-nous indifférents?
 
Pendant que nous perdons des journalistes année après année, le monde n’est pas devenu moins complexe, au contraire. La somme des connaissances et des compétences requises pour exercer le métier ne cesse d’augmenter. Tout ça, avec de moins en moins d’effectifs et de moins en moins de temps pour effectuer notre travail.
 
 
Le travail de journaliste est-il si difficile? La réponse est oui. Les exigences sont élevées et, comme vous, les élus, nous exerçons notre métier sous le regard du public. 
 
En quelques années seulement, la situation s’est détériorée. Ce qui était l’exception est devenu la norme. Nous faisons maintenant face au harcèlement et à la haine comme jamais auparavant.
 
La pression est énorme.
  
Malgré toutes les difficultés, nous continuons d’exercer cette profession que nous jugeons essentielle dans une société démocratique. Ces hommes et ces femmes méritent notre respect.
 
On le sait maintenant, le modèle d’affaires des médias est brisé. Les géants du web comme Meta et Google accaparent environ 80% des revenus publicitaires numériques au Canada. Des revenus, et des profits, qui sortent du pays et qui ne reviennent jamais. Pensez-y bien : ça veut dire que tous les médias au Canada se partagent dorénavant environ 20% de cette tarte publicitaire pendant que les revenus traditionnels sont en chute libre. Nommez-moi une seule industrie au Canada qui serait capable de survivre avec une baisse aussi drastique de ses revenus ?
 
Or, produire de l’information, ce n’est pas gratuit. Mardi, Colette Brin, professeure à l’Université Laval, vous a dit que « la bonne information coûte cher à produire ». 
 
À défaut d’en avoir trouvé d’autres, voici quelques chiffres publiés par le syndicat Unifor en 2018 que je trouve intéressants.

  • Couvrir une simple nouvelle : 331 $
  • Une nouvelle plus complexe : 935 $
  • Une enquête journalistique : 10 710 $

 Or, pendant que nos médias continuent malgré la tempête d’informer la population, nous avons de la difficulté à nous tenir debout face à des géants étrangers.
 
Dans une lettre publiée dans La Presse aujourd’hui même, le président de Cogeco, Louis Audet, illustre très bien cet état de fait. Les annonceurs peuvent encore en 2024 déduire leurs dépenses publicitaires sur des plateformes numériques étrangères comme celles de Meta par exemple. C’est un non-sens alors que nos médias meurent à petit feu.
 
Pendant que les médias cherchent des solutions, et ils cherchent, je peux vous le dire, il faut se rappeler pourquoi il est important d’avoir des médias et des journalistes qui informent le public.
 
Dans son plus récent rapport, le Forum économique mondial a identifié la désinformation comme l’un des risques les plus importants pour la planète au cours des prochaines années. Au moment où l’intelligence artificielle prend son envol, voilà qui est inquiétant pour ne pas dire terrifiant.
 
Je veux partager avec vous un chiffre qui donne froid dans le dos. Selon une étude du MIT, les fausses nouvelles circulent 6 fois plus rapidement que les vraies nouvelles. Pensez-y bien ! Alors qu’on a de moins en moins de journalistes pour informer le public, le terreau n’aura jamais été aussi fertile pour la désinformation.
 
Comme vous l’a souligné Colette Brin, un écosystème médiatique qui est faible favorise la désinformation. Elle a ajouté que la désinformation affaiblit aussi l’écosystème médiatique. Je suis d’accord avec elle. Or, la meilleure arme pour lutter contre la désinformation, c’est l’information crédible et vérifiée.
 
À travers la crise des médias, c’est aussi une crise culturelle au sens large que nous vivons. Les médias et les journalistes sont les témoins de nos communautés et de leur vie politique, économique, sociale, culturelle et sportive.
 
Un dernier mot sur la confiance. On parle beaucoup de crise de confiance du public envers les médias. Les chiffres de plusieurs sondages ne sont pas très encourageants. Il ne faut pas les exclure.
 
Mais selon certains, l’affaire est entendue. Les médias n’ont plus aucune pertinence. Voilà qui est peu court comme argument.
 
La firme de sondage Léger mène régulièrement un sondage sur la confiance du public à l’endroit de plusieurs professions. Selon les derniers résultats : les pompiers sont en tête : 95% des gens leur font confiance. Les députés et les ministres sont à 31% pendant que les journalistes sont à 48%.
 
Pourtant, sur la base de ces chiffres, personne ne prône le démantèlement de notre système politique sous prétexte que si peu de gens font confiance aux élus.
 
En terminant, je veux rappeler que les journalistes, comme les médias, ne sont pas parfaits. Ils commettent des erreurs. Mais à l’inverse, il faut avouer qu’il est facile de ne pas faire d’erreurs dans un monde parallèle rempli de faits alternatifs. C’est pourquoi l’information vérifiée par des journalistes, c’est ce dont nous avons besoin, plus que jamais.
 
Je vous remercie. 
 

On peut accéder à la liste des témoignages entendus, au procès-verbal et à l'enregistrement en ligne sur la page du Comité permanent du patrimoine canadien.

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